Patricia vient me voir en consultation car elle me connait un peu, nous partageons une passion commune. Dans un souci d’efficacité, elle ne veut pas perdre de temps à créer une relation de confiance avec un thérapeute inconnu et ainsi, elle fait fi des conseils de ceux qui prétendent que le thérapeute ne doit pas, par ailleurs, connaître son patient. Patricia, la trentaine, est une jeune femme de petite taille, pleine de pep’s et d’énergie. Ses yeux bleus pétillent et elle respire la détermination.

Première séance :

Patricia souffre depuis quelques mois de crises de panique. Parfois, elle réussit à contrôler certaines crises en soufflant dans un sac ou en marchant très vite pour arrêter les pensées. Ces crises-là, elle les supporte, elle fait avec. Parfois, les crises sont plus fortes qu’elle et là, elle perd tout contrôle, elle est tétanisée, envahie par la peur voire la certitude de mourir. Ce sont ces crises-là qui motivent la démarche de consultation. Patricia veut s’en débarrasser, elle veut savoir que l’angoisse peut être dépassée.

Cette jeune femme est épantante : de façon trés rapide,concise et précise, elle pose son problème et définit son attente. Elle a très bien compris que plus elle cherche à contrôler et moins elle contrôle. Elle a un besoin urgent que ça s’arrête. Et lorsqu’il y a urgence c’est souvent là que ça marche le mieux.

Patricia met en lien ses crises de panique avec des inquiétudes concernant son petit garçon âgé de quelques mois. Sa grossesse a, dit-elle, accentué ses ruminations nocturnes. Elle décrit un sommeil qui n’est pas réparateur.

Lors de cette première rencontre, je reformule et reconnaîs ainsi sa souffrance. Puis je lui propose une petite séance de “relaxation hypnotique” car elle attend de pied ferme un changement et je me dois de la mettre au travail sinon elle risquerait d’être déçue.

Patricia s’allonge sur le canapé de sa propre initiative. Elle accepte de se laisser guider en gardant le contrôle. Je respecte complètement cela et je l’accentue même un peu en lui proposant de rester bien vigilante pendant que je parle. Je suis ainsi la voix d’Erickson qui avait l’habitude de reconnaître, accepter, augmenter et utiliser ce que ces patients lui apportaient. J’invite Patricia à fixer un point au plafond très attentivement et pendant ce temps je lui parle d’hypnose, d’abord quelques petites explications, puis je glisse sur le fonctionnement de l’esprit conscient et le fonctionnement de l’esprit inconscient, décrits l’un et l’autre alternativement de façon à induire une petite dissociation. Et je lui suggère que plus elle est vigilante, plus elle se centre sur elle et prend soin d’elle. Je lui propose en même temps d’observer ses ressentis corporels et l’invite enfin à visiter un endroit agréable avant de sortir de son hypnose tranquillement.

Patricia a gardé les yeux ouverts pendant toute la séance. A son retour à l’état d’éveil ordinaire, elle dit avoir eu l’impression de dormir longtemps. Elle décrit une lourdeur et une impossibilité de bouger tout en précisant que cela n’a rien à voir avec la paralysie qu’elle peut ressentir dans les crises de panique.

Patricia souhaite reprendre rendez-vous pour la semaine suivante.

__Deuxième séance : __ Patricia est toujours aussi pimpante en arrivant. Elle se souvient qu’elle a oublié de me parler de sa claustrophobie la dernière fois. Elle précise que c’est un besoin impérieux de savoir qu’elle peut sortir à tout moment. Je sens un grand désir de plonger dans l’état hypnotique et une ambivalence. Je comprends qu’elle a besoin de savoir qu’elle peut très vite sortir de l’état hypnotique.

Avant de nous lancer dans l’hypnose, je lui demande s’il y a eu des attaques de panique depuis la dernière fois. Elle avait évoqué une moyenne de deux crises par semaine lors de notre première rencontre, il eût été fort probable qu’il y en eût. Pas une seule. Patricia explique qu’il n’y avait pas de raison d’en faire… puis remarque que son fils a tout de même été malade… Le travail a bel et bien commencé.

Nous nous lançons dans la tant attendue séance d'hypnose. Là, je m’appuie sur mes notes pour en faire le récit car je ne me souviens plus de rien. Comme toujours, j’avais préparé une trame et quelques idées à aborder. Et comme toujours, pendant la séance formelle, je m’adapte aux besoins de la personne en faisant confiance à mon esprit inconscient et ma créativité. La préparation est nécessaire puis laissée de côté.

La séance avec Patricia est très structurée. Pour la structure, je peux faire confiance à mes notes, le récit en sera fidèle. Pour le choix des histoires imbriquées que j’ai racontées, ma mémoire ne m'est d’aucun secours pour en comprendre les raisons. Bien souvent le thérapeute est lui aussi dans un état hypnotique pendant qu’il accompagne un patient dans son hypnose à lui et le thérapeute travaille avec cela.

Patricia s’allonge sur le canapé et fixe un point au plafond. Je commence par une induction de détente corporelle et l’invite à aller dans un endroit agréable où elle ressent confiance et sérénité. Patricia prend le temps de bien explorer à fond les sensations et focalise ensuite à ma demande toutes ces sensations sur un détail (une couleur, un objet, … je ne sais pas ce qu’elle choisit), un détail qu’elle emporte avec elle. Puis je l’invite à visualiser un escalier qui descend et à emprunter cet escalier. Là, apparaît la salle sur commande de Harry Potter (je sais qu’elle connaît cette référence mais il m’arrive de l’utiliser aussi avec des personnes qui ne la connaissent pas, il suffit d’expliquer). La salle sur commande a le pouvoir de faire apparaître tout ce dont la personne a besoin. Je laisse Patricia aménager sa salle à elle. Je suggère une jolie boîte pour y déposer l’esprit conscient et un lit confortable pour s’allonger et écouter des histoires. Je commence ainsi à raconter une histoire personnalisée de Boucle d’Or et de son papa réparateur. Il y est question des trois petits lits et d’un papillon. Ne m’en demandez pas plus, c’est une énigme pour moi aussi. Puis retour à la salle sur commande pour continuer à l’aménager avec tout ce qui est utile pour Patricia. Je sais que son inconscient sait ce qui est bon pour elle. Puis je raconte une histoire de Milton Erickson “Robert fait bien les choses” (extraite du livre Ma voix t’accompagnera… où Sidney Rosen rassemble et commente des histoires racontées par Milton H. Erickson). Puis, à nouveau, retour à la salle sur commande où j’invite Patricia à récupérer l’esprit conscient et à laisser s’estomper l’image de la salle. Je propose à Patricia de retourner brièvement dans son endroit agréable pour s’y ressourcer avant de retrouver l’escalier. Patricia a dix marches à remonter pour retrouver les sensations d’éveil, de tonus et de vitalité. Avec un compte à rebours, je l’accompagne dans cette ascension.

Patricia décrit un retour difficile avec une sensation d’être ankylosée. Elle se frotte longuement le visage et s’étire. Je note qu’elle a gardé les yeux ouverts pendant toute la séance qui a duré 40 minutes. A aucun moment je n’ai perçu ses paupières ciller. Elle est très étonnée que cela n’ait duré que 40 minutes, cela lui a semblé beaucoup plus long. Elle parle peu de la séance et c’est très bien ainsi.

Avant de terminer, je profite de son état de flottement où les suggestions entrent comme dans du beurre dans l’esprit, pour lui faire part de mon horreur pour l’expression “lâcher-prise”, expression très en vogue. Je lui parle de ses qualités d’organisation et d’anticipation qui sont actuellement un peu déséquilibrées, trop envahissantes et en même temps tellement précieuses à conserver une fois qu’elle aura retrouvé le bon équilibre.

Patricia va partir en vacances deux semaines et nous nous retrouverons à son retour. Deux semaines où toutes les petites graines plantées pendant la séance d’hypnose profonde vont faire leur chemin. Deux semaines où l’esprit conscient et l’esprit inconscient vont tranquillement travailler pour Patricia.

Troisième séance :

Cette fois-ci, pas d’hypnose formelle mais beaucoup d’hypnose conversationnelle. Patricia est encore sous le choc d’avoir subi une attaque de panique il y a quelques jours alors qu’elle était en train de s’occuper de son fils de quinze mois. Elle est terrifiée en me racontant qu’elle n’était plus en état de s’occuper de lui, elle n’était plus libre de ses mouvements, ne ressentait plus rien, submergée par la certitude de la mort.

Pour cette troisième séance, je me suis beaucoup inspirée des techniques d’Yves Doutrelugne et de sa façon de les amener aux patients. (cf : Thérapies brèves : principes et outils pratiques d’Yves Doutrelugne et Olivier Cottencin et Thérapies brèves : situations cliniques coordonné par Yves Doutrelugne et Olivier Cottencin)

Je commence par la technique “le pire du pire”. Patricia est très forte à ce jeu, elle ne se ment pas, n’esquive pas. Elle sait quand elle me parle de claustrophobie ou de peur des situations d’urgence que derrière se cache une seule peur, celle de mourir.

Je lui parle ensuite d’un exercice inventé par un grand médecin (Y. Doutrelugne), exercice très difficile à réaliser et très efficace. Je m’appuie sur l’autorité de ce grand médecin, je laisse une grande liberté de ne pas réaliser cette prescription et assure à nouveau qu’elle est vraiment très efficace. Patricia est très déterminée, elle veut jouer le jeu. Je lui fournis donc un papier très formel avec des questions auxquelles elle devra répondre par écrit pendant qu’elle est submergée par la panique. J’insiste sur l’importance de bien réaliser cet exercice à chaque peur, de bien noter soigneusement sur un petit carnet qu’elle aura au préalable choisi toutes ses réponses.

Puis nous passons à une conversation concernant sa façon d’être maman. Patricia est maman à 100%, elle anticipe tout et a conscience que c’est exagéré. Elle ne se sent plus libre. Avant qu’elle ne glisse sur la pente de la culpabilité, je propose un petit recadrage, une autre façon de voir les choses : ses préoccupations maternelles primaires ne sont tout simplement plus adaptées à l'âge de son fils, son fils grandit et ses préoccupations maternelles doivent évoluées aussi, rien de grave. Je lui suggère une prescription de tâches : introduire de petites imperfections dans ses anticipations. Elle en propose deux : ne pas mettre l’eau dans les biberons du soir pour le lendemain et mettre un pyjama à son fils sans l’avoir repassé. Cela lui semble réalisable. En choisissant elle-même ces deux tâches, elle prend conscience que sa façon d’être maman lui pèse, la relation avec son fils ne la satisfait pas, pas plus que la relation avec son compagnon qu’elle a l’impression de délaisser. Je l’invite à réfléchir à l’incidence que peut avoir sur la qualité de son sommeil et sur la relation avec son compagnon le fait que son fils dort toujours dans la chambre parentale.

Patricia repart avec la feuille de questions dans son sac et la ferme résolution de s’y atteler sérieusement. Elle conclut qu’elle se sent soulagée d’avoir pu mettre à plat tout ce qui n’était plus ajusté à l’âge de son fils et exprimer ce qu’elle ressent à son égard.

Quatrième séance :

Deux semaines ont passé. Patricia entre d’un bon pas dans le cabinet de consultation, elle a la feuille pliée en quatre dans le sac et elle s’empresse de me dire que cette feuille la terrifie. Elle a lu une seule fois les questions, a replié la feuille et n’a plus pu l’ouvrir. La feuille lui fait plus peur que les crises me dit-elle. Aucune attaque de panique pendant ces deux semaines. Elle me dit que de toute façon elle n’aurait pas pu répondre aux questions. Je la sens très remontée, presque furieuse. Elle veut comprendre, elle veut que je dévoile la mécanique de la tâche prescrite. J’accepte son besoin de comprendre, je n’ai pas de réponse, je l’invite à réfléchir, elle seule peut savoir ce qui s’est joué dans cette affaire. Nous discutons trois bons quarts d’heure de tout cela. Les prescriptions d’imperfection lui ont demandé beaucoup d’efforts. Elle a essayé de les suivre et elle en a fait bien plus que ce que nous avions convenu ensemble. Nos échanges sont une conversation hypnotique qui aboutit à la proposition d’apprendre l’auto-hypnose.

Je lui explique comment faire chez elle des petites séances de dix minutes d’auto-hypnose et plus j’explique, plus elle commence à présenter des signes d’entrée en hypnose. Patricia est assise sur le canapé, au bout de quelques secondes, elle laisse les paupières se fermer complètement par elles-même. La tête s’incline vers le bas au fur et à mesure qu’elle entre dans un état de plus profonde hypnose puis la tête se relève quand elle en sort. Pendant la séance, j’instaure un signaling, elle lève légèrement l’index lorsqu’elle est prête à passer à l’étape suivante. Les étapes défilent vite : détente corporelle, escalier qui descend, poubelle à effort, esprit conscient qui se repose pendant que l’esprit inconscient travaille pour elle, dissociation conscient/inconscient et quand l’esprit inconscient a suffisamment travaillé, il fait apparaître l’escalier pour remonter et sortir de l’hypnose.

Pour Patricia, cette petite séance de dix minutes a été beaucoup plus agréable et beaucoup plus facile que les autres. Elle se sent en mesure de faire cela à la maison.

Nous prévoyons de nous revoir dans un mois.

Cinquième et dernière séance :

Patricia va bien mieux. Elle ne revient pas au bout d’un mois mais au bout de trois mois et demi. Elle a besoin de terminer ce qui a été commencé, de boucler la boucle et de faire l’expérience que ça tient dans le temps. Les crises n’ont pas complètement disparues mais ce ne sont plus des attaques de panique, elle peut les surmonter. En guise de comparaison, elle évalue à 9/10 l’angoisse des crises initiales et à 1 ou 2/10 l’angoisse des crises actuelles.

Patricia me dit qu’elle revit, qu’elle a à nouveau des sensations, des sentiments. Elle a su remettre du mouvement dans une façon d’être au monde qui était en train de se figer. Elle a su se saisir des petites choses concrètes dans le quotidien, de réflexions, de prises de conscience… et laisser faire. Avec beaucoup d’humour, elle me raconte qu’avant la naissance de son fils, elle fumait et s’accordait une vingtaine de pauses-clopes par jour pour s’oxygéner, ça lui donnait une respiration ! Maintenant elle a retrouvé ces pauses-ressources sans avoir renoué avec la cigarette. Ces précieuses petites pauses qui permettent à l’esprit inconscient de travailler pour soi et à l’esprit conscient de se reposer un peu.

__Bien plus tard : __ J’ai continué à croiser Patricia dans un autre contexte mais jamais nous ne parlions du travail effectué dans le cabinet de consultation. Quelques années plus tard, je lui ai demandé si elle acceptait de me dire où elle en était avec les attaques de panique. La panique avait bel et bien été pulvérisée par la feuille de papier avec les questions. Patricia ne me cacha pas qu’elle avait mal vécu ce phénomène parce qu’elle n’avait toujours pas compris ce qui s’était passé. Elle voulait à tout prix que les crises cessent et elles ont cessé. Elles sont devenues surmontables et c’est ce qu’elle attendait.

Je pense que la fameuse feuille a cristallisé les attaques de panique et que l’essentiel du travail s’est joué dans le réajustement en tant que maman. Mais ce n’est qu’une hypothèse…

Claire MARIE-RODA 2019