Concertos pour un bébé, magistralement orchestrés par une patiente. d’après “Les Quatre Saisons” de Vivaldi

Voici le récit d’une thérapie réussie. Ce récit est une reconstruction après coup d’une thérapie. Et le récit après coup d’une thérapie réussie donne l’impression que tout a été magistralement orchestré par le thérapeute. Or il n’en est rien. Dans cette thérapie, c’est la patiente qui a très intelligemment tracé le chemin. Je n’ai fait que la suivre. Le Dr Megglé, auprès de qui j’ai appris l’hypnose, dit que lorsqu’on relit les notes d’une thérapie réussie, tout s’enchaîne à merveille.

Dans mes notes, j’ai, à coup sûr, oublié l’essentiel et l’essentiel est invisible pour les yeux, confie secrètement le renard au Petit Prince de Saint Exupéry. Alors voici ce que mon esprit conscient retient, sans oublier ce que mon esprit inconscient a oublié d’oublier.

C’est une patiente intelligente, curieuse et confiante qui s’adresse à moi. Je l’appellerai Amélie. Amélie rêve d’un bébé qui n’arrive pas et les longs mois d’attente inféconde la minent à tel point qu’elle cherche l’aide d’une psychologue et me trouve.

L’hiver : froid, infécond, déprimant, la réalité de la patiente

La première rencontre, c’est une découverte de l’hypnose, un apprivoisement réciproque. Dehors les oiseaux chantent, c’est le printemps et les arbres sont en fleurs. La nature avec ses rythmes et ses richesses imprègne les suggestions hypnotiques larges de détente et de bien-être. Je sais qu’Amélie pratique la relaxation et j’utilise cette compétence pour la guider dans son hypnose. Une agréable lourdeur et une immobilité confortable habitent la plus petite parcelle de son corps pendant la séance. Cette lourdeur et cette immobilité la déconcertent et elle aurait voulu que cette expérience se prolonge. Les 40 minutes du temps de la montre sont une dizaine de minutes de son temps intérieur. La ratification de la transe apparaît comme une évidence et si cela ne suffisait pas, un terrible cauchemar dans la nuit achève de la persuader que quelque chose s’est passé.

De mon côté, je perçois une jeune femme pudique qui porte seule le lourd poids de la culpabilité de ne pas réussir à donner la vie. Je comprends que pour elle, avoir un bébé est une affaire de femme et le problème vient d’elle puisque ses règles sont irrégulières.

Le printemps : les graines sont semées

La deuxième séance est beaucoup plus directe et ciblée. J’adopte un langage biologique. Avant de glisser dans l’hypnose formelle, Amélie me parle de son médecin en qui elle a toute confiance et qui lui a prescrit un bilan sanguin. Elle vient d’avoir les résultats qui sont bons et elle retient qu’elle a de bonnes hormones. On entre par la relaxation puis on glisse dans l’hypnose et là, sur fond d’une nature bien présente avec ses rythmes et ses cycles, je lui parle de ses ressources. Les ressources internes sont ses bonnes hormones et sa facilité à relaxer ses muscles y compris les muscles lisses et je l’invite à une détente ciblée et profonde des trompes et des ovaires. Je parsème ce langage biologique d’images, une éponge sèche qui se gonfle d’eau, un linge froissé qui se détend au vent avec un rayon de soleil qui achève de lisser les derniers plis. Je lui parle aussi des ressources de son environnement, de son bon médecin et surtout de son mari qui porte avec elle ce projet d’avoir un enfant. Je continue avec le langage biologique pour parler des spermatozoïdes qui peuvent être plus lents et plus paresseux lorsque l’homme est stressé.

A l’issue de cette séance, j’ai l’impression que j’aurais pu broder sur ce thème plus longuement mais je sens qu’Amélie a besoin de digérer ce qu’elle vient d’entendre. Elle en a d’ailleurs oublié une grande partie, c’est son esprit inconscient qui s’occupera de cette tâche.

L’été : de la chaleur et de l’eau

La troisième séance est en juillet, juste avant les vacances, il fait très chaud. L’hypnose formelle est prise en sandwich dans l’hypnose conversationnelle. Pour Amélie, avoir ses règles signifie ne pas être enceinte et elle pleure comme une fontaine à chaque fois qu’elle est indisposée. Un recadrage me parait utile : avoir ses règles est un signe de bonne santé, de fertilité, de maternité latente, cela signifie que le corps fonctionne bien et qu’une grossesse est possible. Par ailleurs, je perçois Amélie comme une jeune femme qui aime bien contrôler les évènements de sa vie, planifier son emploi du temps, tenir à jour son agenda et compter les jours sur son calendrier. J’utilise ce trait de caractère pour servir son projet d’avoir un bébé. En effet, si le stress retarde l’arrivée d’un bébé et si connaître la cause de ce retard permet de diminuer le stress alors il est très simple de pratiquer un spermogramme. Amélie veut savoir mais n’ose demander cela à son mari. L’hypnose formelle sera largement saupoudrée de ses idées. Je lui raconte l’histoire de Titou les pouces verts. C’est un petit lutin qui a la main verte et qui sait faire pousser les plantes, il s’y connaît en graine et sait que chaque graine a ses besoins propres et que si on donne à la graine ce dont elle a besoin alors elle deviendra une jeune pousse. Et Titou prend plaisir en savourant le temps d’attente avant de voir la graine germer. A l’issue de la séance formelle, Amélie me raconte qu’elle flottait confortablement dans une piscine alors qu’elle était collégienne et que c’était étonnamment agréable, étonnamment car normalement cette situation aurait dû l’embarrasser car elle se dit très pudique. Elle se souvient vaguement d’un petit personnage vert.

Les vacances passent et en septembre elle est encore sous le choc lorsqu’elle m’apprend que le problème a été identifié. Son mari a pratiqué un spermogramme et les résultats expliquent que leur bébé tarde à venir. Le gynécologue donne un traitement à Amélie pour stimuler l’ovulation et un traitement antibiotique à son mari au cas où une infection affaiblirait les spermatozoïdes. Si dans un mois, bébé n’a pas pointé le bout du nez, ils basculeront dans la procréation médicalement assistée. Amélie souhaite continuer l’hypnose pour mettre toutes les chances de son côté.

L’automne : champignon, ni animal, ni végétal, fascinant

La quatrième et dernière séance a lieu fin septembre. La séance se passe en deux temps. Un premier temps où Amélie est allongée, comme à son habitude, lourdement immobile sur le matelas. Et je lui parle de Titou les pouces verts qui s'y connait si bien en plante et qui s'intéresse maintenant aux champignons. Titou a tout à apprendre des champignons et ce qui le fascine par dessus tout ce sont les truffes, si précieuses, si mystérieuses et si exigeantes quant à leur environnement pour pousser. Et je sème l'idée que son corps peut la surprendre, lui offrir une surprise inattendue. A son réveil, Amélie est très sceptique sur la surprise que peut lui offrir son corps et, en même temps, très intriguée. Dans le second temps de la séance, je l'invite à retourner dans son hypnose, cette fois-ci assise, et je lui suggère une catalepsie du bras. Son esprit conscient s'en sent incapable alors que son esprit inconscient en meure d'envie. Très vite Amélie se retrouve le bras en l'air parfaitement confortable et immobile. Je lui propose de réveiller sa tête et de laisser son corps en hypnose pour voir le phénomène de ses propres yeux. Elle ne préfère pas pousser l'expérience si loin et sait maintenant que son corps peut la surprendre. Elle a trouvé ce qu'elle cherchait.

A la fin octobre, je reçois un texto qui me transporte de joie. Amélie m'annonce qu'elle est enceinte et m'écrit "je pense que vous n'y êtes pas pour rien". Ce bébé qu'elle attendait tant est né à la fin du printemps.

Je terminerai en citant JJ Witzaele qui nous met en garde contre le risque du sentiment de toute-puissance. "L'apparente simplicité de l'approche, ajoutée à son indéniable efficacité peut laisser croire que n'importe qui pourrait, du jour au lendemain, se proclamer "thérapeute bref" et jouer les apprentis sorciers avec la misère humaine. Nous avons bien conscience de la griserie que peut provoquer les premiers succès thérapeutiques parfois spectaculaires." ("A la recherche de l'école de Palo Alto" JJ Witzaele et T Garcia, p 309)

Claire MARIE-RODA 2012